Au carrefour des grandes allégeances spirituelles du XVIIe siècle, et
en leur point de divergence, Jean de Labadie fut en permanent transit –
jésuite en ses débuts, Réformé en toutes places éminentes de religion,
homme de Réveil et, en désespoir de cause, mais cause de belle
espérance, « labadiste ». D’Aquitaine à Montauban, Orange, Genève,
Middelbourg, Amsterdam, Altona, enfin, cette cité du Nord où il meurt,
il est ce personnage insaisissable d’avoir opéré aux limites de toute
inscription religieuse, habitant ces frontières indécises où s’estompent
et se diluent des horizons que l’on croyait stabilisés de longue date,
mais où s’élaborent des questions alternatives concernant le régime de
croyance et, en ultime conséquence, l’affirmation d’un sujet souverain.
De ce « passant considérable », trop longtemps objet de soupçon, de
défiance extrême, et voué à l’oubli, l’analyse de l’œuvre, en son entier
déployée au plus près de sa raison mystique, permet de mieux comprendre
comment le refus de tout compromis dans l’accomplissement d’une quête
spirituelle rejoint, selon sa pente propre et son verbe singulier, les
impératifs d’une éthique et d’une subjectivité tels que notre temps est
requis de les assumer. Au delà de la lettre de son argument, fondée en
une histoire particulière, le grand sursaut mystique de Labadie n’a pas
fini d’ébranler nos certitudes, au risque de nos dieux, au péril de
nous-mêmes.
D. V.