De la petite enfance des saints, la littérature hagiographique abonde en récits révélateurs de la précocité spirituelle des âmes prédestinées à la plus haute perfection. Pour la petite Wiborade, ce n’est pas la référence à la foi chrétienne qui préside à son devenir: elle se tient au plus près de la réalité, des grands arbres et de l’inépuisable forêt germanique. Elle se nourrit de la terre, de l’eau, de la lumière et de la ténèbre. Elle se pose et s’impose en accomplissement de création, très en deçà des humains, de leurs dieux et de leurs rites. Face à elle, l’enfant est sidérée, extasiée, transportée. 
Si un jour, beaucoup plus tard, elle doit devenir une sainte, ce sera moins pour voir entendu la Bonne Parole que pour avoir, au commencement, et avant même le commencement du commencement, noué ses propres racines aux racines des arbres, dans l’humus obscur, ruisselant de toutes les promesses de la vie. Des figures inquiétantes et fascinantes occupent la conscience surgissante de l’enfant : des sorcières, des cadavres de nouveau-nés, des vieux moines, ermites et reclus. Il y a là comme un terreau fantasmatique dans l’insolite familiarité duquel la jeune fille entretiendra les premiers germes de sa vocation. Il n’est pas précisé dans quelles circonstances et sous la tension de quelles motivations profondes, Wiborade, adolescente, est entrée au monastère de Saint-Gall, ni de quel statut, étant femme, elle pouvait disposer. Peu importe. Nous ne sommes pas dans l’histoire, celle des historiens, mais dans le cours d’un poème affranchi des règles de réalisme, et qui s’attache un sens, sans souci majeur de vérifications objectives.