« N’oubliez pas que je suis phénoménologue », disait un jour Lévinas à
l’un de ses amis philosophes lors d’une discussion. Tel est le parti que
prend délibérément ce livre, écrit par un jeune chercheur japonais, à
l’écart des récupérations philosophiques, et le plus souvent
idéologiques, dont l’œuvre de Lévinas est généralement l’objet.
Avec une audace cependant maîtrisée par une lecture attentive et
rigoureuse de tous les textes, avec un esprit critique qui pourra
choquer tant il va à l’encontre des idées reçues, l’auteur tente de
dégager les structures d’une pensée qui, à travers ses évolutions, se
montre d’une remarquable cohérence, dans la confrontation qui n’a cessé
de la hanter avec la question du non-sens. Structures, pourrait-on dire,
« en feuillets », qui se redoublent et s’enchevêtrent aux différents
registres successivement rencontrés, comme en une amplification des
problématiques initiales. C’est bien le phénoménologue de la facticité
humaine, d’entrée de jeu à l’écart de Heidegger, qui est ici étudié, et
non pas le philosophe rangé sous telle ou telle bannière.
Certes, ce livre laisse ouvertes pas mal de questions. Mais c’est
là son plus grand mérite. Loin d’induire à un sommeil dogmatique,
d’ordre métaphysique, il montre jusqu’à quelles profondeurs inouïes
plonge l’œuvre de Lévinas, et quel champ de problèmes la phénoménologie
se doit de traiter, tout au moins, puisqu’il s’agit de la facticité
humaine, en tant qu’anthropologie phénoménologique.