Elle se nommait
Louise de Bellère du Tronchay. Née en 1639, elle appartenait à la
meilleure noblesse de l’Anjou. Comblée de tous les biens de la fortune,
de la grâce physique et de l’intelligence, elle brillait dans les
petites cours de sa province natale. Longtemps elle louvoya entre
projets de mariage et aspirations charitables jusqu’à ce que, vers sa
trente-cinquième année, un sermon, proféré par un obscur prédicateur, la
précipitât dans une crise de conscience qui la conduisit aux bords
incertains de la folie et de la vocation mystique. Enfermée à la
Salpêtrière, considérée comme folle par les uns, comme possédée ou comme
sorcière par les autres, elle subit les effroyables conditions de vie
faites aux internées. Le salut lui vint, toutefois, de quelques prêtres
qui s’intéressèrent à elle et reconnurent l’authenticité de son
expérience intérieure. On la fit sortir de la basse-fosse où elle
croupissait. Elle devint soignante des folles et des pauvres. Elle
devint surtout, dans l’exercice de son dévouement et dans
l’approfondissement de son rapport à Dieu, Louise du Néant — un
extraordinaire exemple d’abnégation personnelle, de rigueur acétique et
d’illumination mystique. Son aventure, extérieure et intérieure, est ici
doublement rapportée : par la biographie écrite par le jésuite Jean
Maillard qui fut son dernier confesseur et dont l’ouvrage fut publié en
1713 et par un recueil de lettres de Louise du Néant qui, de 1679 à
1693, couvrent toute l’étendue de sa carrière. Ces lettres s’imposent, à
nos yeux, comme un témoignage curieux de la vie à la Salpêtrière, mais
plus encore comme l’une des expressions littéraires les plus
remarquables de l’amour mystique. Catherine de Gênes, Catherine de
Sienne, Thérèse d’Avila n’ont pas trouvé d’accents plus vivants et plus
persuasifs pour traduire, avec les mots de chaque jour, le mystère
intime de l’union divine.