De l’Édit de Fontainebleau (1685) portant révocation de l’Édit de
Nantes, à l’insurrection calviniste en Languedoc à partir de 1702, une
génération de huguenots a marqué par différentes formes de résistance,
son hostilité à la « religion de Rome ». Cette résistance s’énonce dès
le début dans le registre de la prophétie, mêlant cris de repentance et
désespérance d’une abjuration forcée, paroles de malheur et
d’insoumission. La guerre des Camisards est tout entière animée des
grandes passions inspirées. Élie Marion se détache très vite comme
figure centrale de ce vaste mouvement prophétique. L’échec de la révolte
armée le contraint, avec quelques compagnons d’enthousiasme, à se
réfugier en Suisse, puis Pays-Bas, enfin à Londres en 1706. Les inspirés
cévenols rencontrent en cette cité du Refuge une terre d’accueil de la
part des groupes religieux en marge de l’Église anglicane, et d’aversion
sans compromis de la part des autorités anglaises, et des ministres
français réfugiés. Marion ne va cesser alors de déclarer, telles une
guerre, des prophéties disant l’accablement de son peuple infidèle qui
fit allégeance à Rome, le renversement d’États et de Royaumes, de cités
et de leurs marchands. Et de relèvement ultime en une Terre de
promission. Les Avertissements Prophétiques, première somme
d’inspirations prononcées de septembre 1706 à mars 1707, clament la «
Journée terrible de Dieu », le temps d’urgence qui l’annonce, le « coup
de la mort » qui s’en vient, et la « Terre Universelle » qui se dessine
dans le cours même de la grande « désolation ». Textes lancinants,
insistants, bouclés sur eux-mêmes en une force de conviction où le plus
haut désespoir côtoie l’assurance d’un salut imminent. Ici se fondent en
un seul argument le principe d’une folle espérance et l’aveu d’un deuil
inabouti. Les condamnations – poursuites, pilori – tenteront en vain de
faire taire cette parole d’ombre et d’illumination. Marion et son
groupe partiront ensuite en pays européens, errants magnifiques,
réactivant des foyers en passion de Réveil, et semant pensées
prophétiques qui longuement travailleront, et bouleverseront, les
institutions de religion, en leurs doctrines et références. A l’aube du
Siècle des Lumières, il se pourrait alors qu’en cette « folie de Dieu »,
et par elle, se définissent les premiers signes d’un procès séculaire
de désenchantement.
J.P. Chabrol et D. Vidal