
SOPHRONE
Vie de sainte Marie Égyptienne pénitente
suivie de Vie de saint Syméon stylite
2-84137-305-5 - Année : 2014 - 152 Pages - 18 €
Textes traduit du latin par Arnaud d'Andilly et présentés par Jacques Lacarrière
(1ère ed. 1985)
COMMANDE
Mon père, mon pays est l’Égypte et mon père et ma mère vivant encore
je m’en allai contre leur gré à l’âge de douze ans en Alexandrie, où je
perdis premièrement l’honneur et puis me laissai emporter dans le désir
continuel et insatiable d’une volupté infâme et criminelle. Ainsi
commence la confession d’une des saintes les plus célèbres de l’histoire
du christianisme. Image de la lubricité et de l’ascèse extrêmes, Marie
ne fut probablement qu’une petite prostituée en larmes se nourrissant à
quatre pattes des herbes sauvages du désert. Marie la prostituée
d’Alexandrie, la petite analphabète au grand cœur, la belle folle de son
corps est devenue un instrument pressé, traversé, brûlé, consumé par
Dieu, un être en lequel se rejoignent, s’allient, se magnifient
souillure et sainteté.
La vie de Marie Égyptienne est suivie de
celle de Syméon, un des plus célèbres stylites, qui passa quarante ans
de sa vie au sommet d’une colonne et dont l’ascèse fut l’objet d’un
culte sans précédent.
À travers ces existences extraordinaires,
Jacques Lacarrière nous entraîne au cœur de ce monde qui bascule en
devenant chrétien: Alexandrie, le désert, un dieu nouveau.
Table des matières / Extraits
_______________________
SOMMAIRE et EXTRAITS
Présentation
par Jacques Lacarrière
Vie de
sainte Marie Égyptienne
Avant-propos
chapitre un. – L’abbé Zosime qui était un Solitaire de très grande
vertu, étant tenté de quelques pensées de vanité, il se présenta un
homme à lui qui lui dit d’aller en un monastère proche du Jourdain où il
alla, et y fut reçu
chapitre deux. – De la perfection avec
laquelle on vivait en ce monastère, dont les Solitaires passaient quasi
tout le Carême dans le désert
chapitre trois. – Zosime
étant allé durant le Carême dans le Désert avec ces autres Solitaires,
aperçoit la figure d’une créature humaine qui fuyait devant lui, et la
suit jusqu’à un lieu creusé par un torrent
chapitre quatre.
– Ce qui fuyait ainsi devant Zosime s’arrête après avoir passé le
torrent, et lui dit qu’elle était une femme. Ils demeurèrent longtemps à
se demander leur bénédiction l’un à l’autre, et puis s’étant mis en
Oraison Zosime la voit élevée en l’air
chapitre cinq. –
Zosime voyant cette femme ainsi élevée en l’air craignit que ce ne fût
un Démon. Sur quoi elle lui dit qu’elle avait été sa pensée; et il la
conjura ensuite de lui raconter toute l’histoire de sa vie
chapitre six. – Sainte Marie Égyptienne commence à conter à Zosime
l’histoire de sa vie, et lui dit de quelle sorte elle passa dix-sept ans
entiers dans des crimes horribles; et comme elle fut en Jérusalem pour
voir la cérémonie de l’Exaltation de la sainte Croix
chapitre sept. – Suite de la narration de la sainte, contenant sa
conversion miraculeuse arrivée le jour de la fête de l’Exaltation de la
sainte Croix. Et comme elle fut en une église de saint Jean Baptiste, où
elle communia
chapitre huit. – Suite de la narration de la
sainte contenant comme elle passa le Jourdain pour aller dans le
désert, où elle demeura quarante-sept ans. Et de quelle sorte elle
vécut durant ce temps
chapitre neuf. – Conclusion du
discours de la sainte et de Zosime, lequel elle oblige de lui porter à
un an de là, la sainte Eucharistie; et puis se sépare de lui
chapitre dix. – L’année étant passée, Zosime porta la sainte
Eucharistie à sainte Marie Égyptienne, et la communia. Et puis elle le
pria de retourner l’année suivante au même lieu où elle lui avait parlé
la première fois
chapitre onze. – Zosime s’étant rendu au lieu où la sainte lui avait dit, il la trouva morte et l’enterra.
Conclusion de tout ce discours
Vie de saint Syméon Stylite
écrite par Théodoret de Cyr
avant-propos
chapitre un. – Pays et naissance du saint; et de quelle sorte Dieu l’appela à son service
chapitre deux.– Le saint s’en va dans un monastère, d’où on le prie
de se retirer à cause de ses incroyables austérités. Puis on retourne le
quérir
chapitre trois. – Le saint demeure reclus durant trois ans. Et passe ensuite plusieurs Carêmes entiers sans manger
chapitre quatre. – Le saint va sur une montagne où il se fait
attacher, puis détacher par obéissance. Fait plusieurs miracles. On
venait de tous les côtés du monde pour le voir
chapitre
cinq. – Raisons qui obligent le saint de passer le reste de sa vie sur
une colonne. Conversions merveilleuses qui s’y faisaient; et du respect
incroyable que les plus barbares avaient pour lui
chapitre six. – Miracles et Prédications du saint
chapitre sept. – De la révérence que le Roi de Perse et toute sa cour
avaient pour le saint. La Reine des Ismaélites obtient un fils par ses
prières. Persévérance du saint dans la prière. Nombre incroyable de ses
adorations. D’un ulcère qu’il avait à la cuisse
chapitre
huit. – De la modération, de la modestie, de la douceur, et de la
science infuse du saint. Du soin qu’il prenait de l’Église, et
conclusion de tout ce discours
Annexe
La Vie de saint Syméon Stylite
écrite par Antoine son disciple
chapitre premier. – Saint Syméon entrant en l’Église, et étant
touché de Dieu sur ce que lui dit un vieillard, s’en alla dans un
monastère, où il passa quatre mois dans une pénitence tout
extraordinaire
chapitre deux. – Saint Syméon se mit une
corde de puits autour du corps qui lui entra de telle sorte dans la
chair qu’elle la lui pourrit toute, et l’on eut grand peine à le guérir
chapitre trois. – Saint Syméon s’en va secrètement, et se met dans un
puits sec, où St Timothée son abbé, en suite de deux visions le va
trouver, et le ramène au monastère, où il demeura environ un an
chapitre quatre. – Saint Syméon sort du monastère, demeure trois ans
dans une petite cellule, et plusieurs années ensuite sur une colonne, où
il fait quantité de miracles, et soutient plusieurs tentations du
Diable. Il est visité par le Roi des Sarrasins
chapitre cinq. – Sort de la mère de saint Syméon qui était allée pour le voir
chapitre six. – On bâtit une colonne à saint Syméon de quarante
coudées de haut, sur laquelle il demeura jusqu’à sa mort, et y fit grand
nombre de miracles
chapitre sept. – Histoire étrange d’un voleur nommé Jonathas
chapitre huit. – Mort de Saint Syméon, et comme il apparut à Antoine son disciple qui est celui qui a écrit cette vie
chapitre neuf. – Funérailles de Saint Syméon. Miracles qui s’y firent, et conclusion de tout ce Discours
Bibliographie
EXTRAITS
Marie d'Egypte
Sainte
Marie Égyptienne commence à conter à Zosime l’histoire de sa vie, et
lui dit de quelle sorte elle passa dix-sept ans entiers dans des crimes
horribles; et comme elle fut en Jérusalem pour voir la cérémonie de
l’Exaltation de la sainte Croix.
«Mon Père, mon pays
est l’Égypte, et mon père et ma mère vivant encore, je m’en allai contre
leur gré à l’âge de douze ans en Alexan_drie où je ne puis penser sans
rougir de quelle sorte je perdis premièrement l’honneur, et puis me
laissai emporter dans le désir continuel et insatiable d’une volupté
infâme et criminelle.
Il faudrait beaucoup de temps pour dire tout
cela en particulier – mais je le dirai le plus brièvement que je
pourrai, et autant qu’il sera besoin pour vous faire connaître quelle a
été l’ardeur démesurée dont je brûlais pour le péché. Je demeurai
publiquement durant plus de dix-sept ans dans cet embrasement funeste;
et ce ne fut point pour des présents que je cessai d’être vierge; car je
refusais tout ce que l’on me voulait donner; la fureur dont j’étais
agitée et qui me portait dans un tel débordement me faisant juger qu’il y
aurait beaucoup plus de presse à venir à moi lors que je ne désirerais
point d’autre récompense du péché, que le péché même. Mais ne vous
étonnez pas de ce que je me souciais si peu de l’argent, puisque je
voulais bien vivre d’aumône, ou de ce que je filais, d’autant que comme
je vous l’ai déjà dit, je n’avais autre passion que de me plonger
continuellement dans la fange de mes horribles impudicités. C’était là
la seule chose qui me plaisait, et je croyais que c’était véritablement
vivre que d’abuser ainsi sans cesse du corps que Dieu m’avait donné.
Comme je vivais de la sorte, je vis en un certain jour d’Été un grand
nombre d’Égyptiens, et de Libyens qui couraient vers la mer. Ayant
demandé au premier que je rencontrai: Où courent si vite tous ces
gens-là? Il me répondit: – Ils vont en Jérusalem à cause de l’Exaltation
de la sainte Croix que l’on doit comme de coutume célébrer dans peu de
jours. Pensez-vous, lui dis-je qu’ils me reçoivent si je veux aller avec
eux? Cela est sans difficulté, me répondit-il, pourvu que vous ayez de
quoi payer le passage. Certes répliquai-je, je n’ai ni de quoi payer le
passage, ni de quoi payer ma dépense; mais je ne laisserai pas d’aller
et de monter sur le vaisseau qu’ils ont loué, et s’ils refusent de me
recevoir je me donnerai moi-même au lieu d’argent, et ayant ainsi mon
corps en leur puissance ils le recevront en paiement, Or ce qui me
faisait désirer d’aller avec eux, pardonnez-moi, mon Père, si je l’ose
dire, c’était pour avoir plusieurs complices de ma fureur.
Je vous
en ai assez dit, mon Père, souffrez, je vous supplie, que j’en demeure
là, et ne m’obligez pas de continuer à vous rapporter ce qui me couvre
d’une si étrange confusion. Car Dieu sait que je n’en saurais parler
sans trembler, et il me semble que toutes mes paroles sont comme autant
de taches qui souillent la pureté de l’air dans lequel elles se
répandent.» Zosime lui répondit en arrosant la terre de ses larmes: «Au
nom de Dieu, ma Mère, continuez et n’omettez rien de la suite d’une
narration si utile.» Elle continua donc de la sorte.
«Ce jeune
homme s’en alla en riant de la réponse que je lui avais faite; et moi
jetant le fuseau que j’avais dans la main et dont j’étais de temps en
temps obligée de me servir pour vivre, je courus vers la mer ainsi que
les autres, et vis debout sur le rivage neuf ou dix jeunes hommes, dont
le visage et la taille ne plurent que trop à ma passion déréglée. Il y
en avait aussi d’autres qui étaient déjà montés dans le vaisseau; et me
jetant au milieu d’eux impudemment selon ma coutume, je leur dis:
Recevez-moi avec vous dans ce voyage, je ne vous serai pas trop cruelle.
À quoi ajoutant d’autres paroles plus libres et pires encore que
celle-là, je les fis tous rire. Ces gens voyant mon effronterie me
prirent et me portèrent dans un petit vaisseau, et puis nous commençâmes
notre navigation.
Ô Serviteur de Dieu, comment vous pourrai-je
conter ce qui arriva ensuite? Quelle langue peut dire, et quelles
oreilles peuvent entendre ce qui se passa dans ce petit vaisseau durant
le chemin, et de quelle sorte j’excitais à pécher ces misérables qui ne
le voulaient pas? Il n’y a point de paroles qui puissent représenter
l’image détestable des crimes dans lesquels je me montrai si savante, et
que je fis commettre à ces pauvres malheureux. Contentez-vous donc, mon
Père, que je vous dise que je ne saurais assez m’étonner de ce que la
mer pût souffrir mes iniquités, et de ce que la terre ne s’ouvrît pas
pour me faire descendre toute vivante dans l’enfer, moi qui faisais
tomber tant d’âmes dans les filets de la mort. Mais Dieu qui ne désire
pas la perte de personne et qui veut que tous soient sauvés, demandait
sans doute que je fisse pénitence; car il ne veut pas la mort du
pécheur, mais il attend sa conversion avec une patience nonpareille.
Nous allâmes donc ainsi en Jérusalem, et j’employai tous les jours
que j’y demeurai avant la fête à des actions aussi détestables que les
premières, et encore pires; car ne me contentant pas du mal que j’avais
fait sur la mer avec ces jeunes gens, j’en perdis encore plusieurs
autres tant de la ville que de dehors, lesquels je sollicitai de prendre
part à mes impudicités.»
Saint Syméon
Le
saint va sur une montagne où il se fait attacher, puis détacher par
obéissance. Fait plusieurs miracles. On venait de tous les côtés du
monde pour le voir.
Le saint ayant donc, comme j’ai
dit, demeuré trois ans dans cette cellule, il s’en alla sur le sommet de
cette célèbre montagne, lequel il fit environner d’une muraille bâtie
seulement à pierre sèche, et, ayant fait faire une chaîne de fer de
vingt coudées de longueur, il s’en fit attacher un bout au pied droit,
et l’autre à une grosse pierre, afin de ne pouvoir même quand il le
voudrait, sortir hors de ces limites. Et là, sans que la chaîne dont il
était ainsi attaché pût empêcher son esprit de s’envoler dans le ciel,
il s’occupait sans cesse à contempler des yeux de la foi et de la pensée
les choses qui sont au-dessus du ciel. Sur quoi, Mélèce, ce grand
personnage qui était alors Patriarche d’Antioche et que sa prudence et
son esprit rendaient si célèbre, lui ayant représenté que la volonté
conduite par la raison étant assez forte par elle-même pour tenir le
corps dans ses liens, cette chaîne était inutile, il obéit sans
contester, et envoya quérir un serrurier pour la rompre. Or, d’autant
que pour empêcher qu’elle n’entrât dans sa chair on avait mis un morceau
de cuir entre-deux, il fallut aussi le déchirer, et en l’ôtant on
trouva plus de vingt gros vers qui étaient cachés dessous, ce que Mélèce
assurait avoir vu de ses propres yeux, et j’ai cru le devoir rapporter
ici pour faire connaître l’extrême patience du saint, qui pouvant
facilement écraser ces vers endurait si constamment leurs fâcheuses et
importunes piqûres, afin de s’accoutumer par ces petites souffrances à
en supporter de plus grandes.
Sa réputation se répandant partout,
non seulement les habitants des environs, mais ceux qui en étaient
éloignés de plusieurs journées venaient de tous côtés vers lui. Les uns
lui amenaient des paralytiques, les autres des malades de diverses
maladies pour les guérir, et les autres le conjuraient de demander pour
eux des enfants à Dieu, et d’obtenir de sa bonté par ses prières ce que
la nature leur refusait. Ceux d’entre eux dont les désirs étaient
exaucés s’en retournant avec joie et publiant les grâces qu’ils avaient
reçues, étaient cause que d’autres en plus grand nombre venaient pour en
recevoir de semblables. Ainsi, chacun y abordant de toutes parts, on
voit en ce lieu une si grande multitude de personnes, qu’il semble que
ce soit une mer qui reçoit par tant de divers chemins ainsi que par
autant de fleuves ce nombre infini de peuples qui y vient de tous côtés.
Car on n’y voit pas seulement des habitants de notre province, mais
aussi des Ismaélites, des Perses, des Arméniens, des Ibères, des
Éthiopiens et d’autres peuples plus éloignés encore que ceux-là. Il en
vient aussi des endroits d’Occident des plus reculés, comme des
Espagnols, des Anglais, des Français et des autres provinces qui leur
sont voisines. Quant à l’Italie, il serait inutile d’en parler,
puisqu’on assure que ce saint est si célèbre dans Rome, qu’ils mettent
de petites images de lui à l’entrée de leurs boutiques, comme pour
chercher de l’assurance et de l’appui dans sa protection et dans son
secours.