
Dans la Rome antique comme dans les autres cultures, le corps n’est pas
une donnée naturelle mais une construction culturelle. L’anthropologie
des corps romains est l’occasion de constater combien nous sommes
culturellement séparés de ceux que nous tiendrions trop vite pour nos
semblables. Nous apprenons ici que les Romains n’ont pas de coude, que
la castration des hommes les engage dans une sexualité excessive ou
encore que l’enfant romain est nourri du lait de son père. Medium de la
communication sociale, ces corps sont aussi le support de signes; les
soldats romains portent leurs décorations gravées à même la peau de leur
poitrine : les cicatrices des blessures reçues en combattant de face,
l’ennemi ; inversement l’esclave exhibe sur son dos les marques de son
ignominie, les traces du fouet. Les traitements du corps romain relèvent
aussi d’une raison symbolique, que ce soit la médecine ou la
cosmétique. Le corps médicalisé est l’assemblage monstrueux de membres
et parties qui sont chacun défini comme le siège d’une maladie. Le fard
qui recouvre les visages des femmes, des morts et du général triomphant,
crée des masques qui sont la vérité de leurs visages. Ainsi la face
blafarde des femmes enduite de pâte montre ce que doit la visibilité
d’un genre à l’artifice. La féminité n’a pas un visage naturel, elle
doit être peinte sur cet enduit dont la blancheur renvoie à un
enfermement, symbolique et non réel, des femmes, il n’y pas de gynécée à
Rome. Enfin le corps humain, défini comme un assemblage de membres,
peut n’être plus qu’un opérateur intellectuel. Ainsi le corps démembré
du fondateur, Romulus, permet de penser les pouvoirs d’une institution
centrale de la Res publica, le sénat.
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