BAGLIVI Giorgio
Anatomie, morsure et effets de la tarentule - 1698
2-84137-405-2 - Année : 2022 - 256 Pages - 22 €
Introduction d’Andrea CarlinoEdition critique, notes et glossaire de Concetta PennutoTraduction du latin Estela Bonnaffoux.
COMMANDE
Le De anatome, morsu et effectibus tarantulae de Giorgio Baglivi (L’anatomie, la morsure et les effets de la tarentule; Rome, 1696; Genève, 1698) eut un énorme succès éditorial et fit l’objet de nombreuses études. Baglivi étudie l’anatomie de la tarentule, son habitat, la nature de son poison et les effets qu’il produit sur le corps humain et animal. L’analyse de ces éléments devient l’occasion de décrire la région où on recense le plus de cas de morsures de tarentule, les Pouilles, et les bienfaits de la plus efficace des thérapies: la musique. Entre descriptions de paysages et récits d’expériences, allant de l’expérimentation à la présentation de cas cliniques, ce texte reconnaît que le seul antidote contre le venin d’araignée est le rituel qui permet au patient de danser et donc d’expulser la maladie par mouvement et transpiration.
Après avoir terminé ses études de médecine à Naples et à Salerne, Giorgio Baglivi (Ragusa, Dalmatie 1668 – Rome 1707) développe sa formation, entre autres, à Bologne avec Marcello Malpighi. Médecin des papes Innocent XII et Clément XI, Baglivi devint professeur de chirurgie et d’anatomie à la Sapienza de Rome, puis, jusqu’à sa mort, professeur de médecine théorique dans la même université. Il fut membre de la Royal Society de Londres. Le De praxi medica et le De fibre motrice sont ses œuvres majeures.
Table des matières / Extraits
Introduction par Andrea Carlino
1. Écrivains étrangers et identité locale
2. La Bibliotheca de Manget et l’observatio nuda
3. La pratique contre la théorie
4. L’observation du tarentisme
5. Le petit carnaval des femmes
6. Tarentisme et « médecine indigène »
7. Une historia naturalis de la tarentule
8. Une écriture ethnographique
Prolegomena à l’édition et remerciements - Concetta Pennuto
Notes sur le texte latin
1. L’histoire du texte
2. Notre édition du texte
3. État du texte
4. Critères d’édition
5. Critères de transcription
6. Note au texte français
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Giorgio Baglivi
Anatomie, morsure et effets de la tarentule
De anatome, morsu et effectibus tarantulae
bilingue latin/français
Au lecteur
Chapitre I. Origine du nom et caractéristiques de la tarentule
Chapitre II. Nature et géographie des régions où naît la tarentule
Chapitre III. Anatomie de la tarentule
Chapitre IV. Où l’on décrit les vésicules séminales, l’œuf et la génération de la tarentule, et où l’on propose au passage quelques observations sur les œufs d’huître et sur la semence en général
Chapitre V. Morsure de la tarentule
Chapitre VI. Où l’on décrit les maladies et les symptômes provoqués par la morsure
Chapitre VII. Où l’on décrit encore d’autres symptômes et où l’on démontre leur analogie avec d’autres maladies
Chapitre VIII. Cure de la morsure de la tarentule et des effets qui en découlent
Chapitre IX. La danse et la musique sont l’antidote spécifique de ce venin. Où l’on décrit au passage la manière caractéristique de danser en Pouille
Chapitre X. Où l’on examine brièvement d’autres faits concernant la danse
Chapitre XI. Où l’on expose diverses histoires de patients
Chapitre XII. Où l’on expose quelques doutes quant à la nature de ce poison
Chapitre XIII. Où l’on examine brièvement les effets de la musique sur les tarentulés et dans les autres maladies
Glossaire
Index des noms
Presse (Matricules des Anges n° 236 - sept. 2022)
On le sait aujourd’hui : la morsure de la tarentule, qui tire son nom de la ville de Tarente au sud de l’Italie, n’occasionne à l’homme rien de très grave. Beaucoup d’encre a pourtant coulé concernant la bestiole, les effets de son venin et leur traitement – la danse – pratiqué dans les Pouilles par les « tarentulés ». C’est le sujet d’enquête de Giorgio Baglivi, dont Jérôme Millon livre une riche édition critique et bilingue de son De anatome, morsu et effectibus tarantulae (1698).
Baglivi, professeur de médecine à l’université de Rome mais originaire de « Lecce, en Pouille », va étudier l’anatomie, l’habitat, le mode de reproduction de la fameuse araignée. Il inaugure, contre les savants de son temps qui accordent foi à de lointains récits de voyages, une « médecine indigène ». Les Pouilles, c’est avant tout pour lui la canicule. « Toujours à cause de la proximité de l’Orient, la Pouille est brûlée par les ardeurs enflammées du soleil et ses habitants sont contraints de respirer un air qui semble s’échapper d’une fournaise. » Les tarentules, invisibles en hiver, ne sévissent qu’en été. À ce tempérament solaire de l’insecte correspond celui sec et tout en nerfs des hommes et des femmes : « ils sont maigres, impatients, irritables, ils dorment peu et sont dotés d’une intelligence extrêmement fine, ils parlent vite et agissent encore plus promptement ». Las ! Ces vifs autochtones sont victimes, durant les grosses chaleurs, des féroces petites bêtes « (...) car durant cette période leur venin est exalté par les rayons ardents du soleil : poussées à la rage, elles attaquent quiconque se trouve sur leur chemin ».
Quiconque ? Ce sont surtout « les jeunes filles et les femmes » qui sont mordues. Ou qui simulent de l’être, se donnant ainsi toute licence de s’exhiber « libérées des brides de la pudeur » : elles « poussent de violents soupirs, hurlent, font des mouvements inconvenants, montrent leurs parties obscènes, affectionnent les mouvements suspendus, etc. » Hystérie, « délire frénétique », folie, diagnostique Baglivi mais pour aussitôt en préciser les causes : la triste condition des femmes, la misère de leur vie conjugale, l’interdiction où on les tient de nouer conversation, « même honnête », avec les hommes. Sans parler de danser. « Elles font alors semblant d’être tarentulées, afin de profiter de l’opportunité de la musique offerte aux seuls tarentulés. » À quoi il faut tout de même ajouter « l’air brûlant, le tempérament très ardent des femmes, la nourriture chaude et particulièrement nourrissante, la vie oisive, etc. ». Pour autant, le subterfuge féminin ne fait pas douter le chercheur de la réalité des « symptômes multiples et presque incroyables » qu’il observe et recense. Pour nous qui le lisons aujourd’hui, le chapitre IX semble avoir été forgé de toutes pièces par Jorge Luis Borges. « Plusieurs couleurs leur font plaisir, en particulier le rouge, le vert, le bleu foncé, etc., mais rarement le noir (...). Certains se roulent dans la boue comme des cochons (...), d’autres aspirent à être battus à coups de fouet sur les fesses, les talons, les pieds. » Comme l’écrivain argentin, il en est qui sont obsédés par les miroirs, « et soupirent très fortement en y regardant leur propre image ». D’autres encore « convoitent des robes rouges et manient des épées nues à la main ».
La partie sur la danse et la musique est passionnante. « Et parce que cette danse plaît avant tout aux femmes, dans notre pays circule l’expression de “petit carnaval des femmes”. » Esprit résolument rationaliste, Baglivi compare cette thérapie populaire à la sienne propre par l’équitation : les mouvements permettent au corps d’évacuer le mal. Mais comment expliquer le pouvoir de la musique ? Par vibration, percussion, « mouvements, ou ondulations » de l’air, en particulier si retentit ce « son très rapide, (...) appelé “tarentelle” par les Italiens ».
On referme le livre, la tête pleine d’images. La laitance de l’huître, un chien qui hurle au son de la guitare, le phénomène de la chair de poule, un scorpion qui se cache dans un melon, les vertus médicinales du vin de romarin, etc. Une curiosité ? Si l’on tient à classer. Ça se lit comme du roman. On en redemande.
Jérôme Delclos
Anatomie, morsures et effets de la tarentule, de Giorgio Baglivi Édition critique et notes de Concetta Pennuto, traduit du latin par Estela Bonnafoux, Jérôme Millon, 255 p., 22 €
© Le Matricule des Anges (n° 236 -sept. 2022)