« On ne doit cesser de se taire que lorsqu'on a quelque chose à dire qui vaut mieux que le silence. »
La réédition de l'Art de se taire (1771) a voulu obéir elle-même à ce principe que le traité énonce.
Mais on ne saurait, sans paradoxe, parler du silence. Et l'ouvrage
est bien un paradoxal art de parler: quand cesse le langage, c'est
alors le corps qui parle. L’Art de se taire est un art de l'éloquence du corps, ce chapitre oublié de la rhétorique classique.
Le corps éloquent y est modéré par les exigences de la civilité.
On découvre là un idéal psychologique de contenance et de maîtrise de
soi — «Jamais l'homme ne se possède plus que dans le silence» —, hanté
par la crainte de la dissipation; un modèle de conduite ordinaire de la
vie dominé par la retenue, la circonspection, voire la réticence:
éléments d'une archéologie de la prudence.
L’Art de se taire est ainsi un gouvernement de soi, mais aussi un
gouvernement des autres; et le silence est une catégorie politique: « Le
silence politique est celui d'un homme prudent, qui se ménage, se
conduit avec circonspection, qui ne s'ouvre point toujours, qui ne dit
pas tout ce qu'il pense, qui n'explique pas toujours sa conduite et ses
desseins; qui, sans trahir les droits de la vérité, ne répond pas
toujours clairement, pour ne point se laisser découvrir».
Le traité de Dinouart conduit alors à un ensemble d'interrogations
sur la fonction du silence en politique, étrangement actuelles.