L’existence des « Manuscrits de
Bernau » de Husserl sur la conscience intime du temps fut révélée
pour la première fois publiquement par Heidegger, en 1928 dans sa
préface aux célèbres Leçons sur la phénoménologie de la
conscience intime du temps. Ces Manuscrits, écrits par Husserl à
Bernau (Forêt Noire) en 1917/18, sur la base d’une compilation
faite par Edith Stein, sont restés inédits du vivant du philosophe,
bien qu’ils aient été confiés, dans les années trente, à Eugen
Fink en vue de la publication. Pour plusieurs raisons, dont la
complexité des textes n’est pas la moindre, Fink n’en vient pas
à bout, et après la guerre, y renonça. Husserl considérait en
effet ces manuscrits comme son « ouvrage principal » qui, restés
dans les cartons des Archives de Louvain, sont entrés dans la
légende pour le milieu des phénoménologues — puisqu’ils
étaient censés contenir les clés de l’œuvre entière. Il aura
fallu le travail persévérant de Rudolf Bernet et Dieter Lohmar pour
que l’ouvrage (une sélection parmi la masse des manuscrits)
paraisse enfin, en 2001, dans la collection des Husserliana.
Cette édition critique est celle qui est publiée ici en traduction
française. L’importance considérable de ces textes tient à ce
qu’ils constituent proprement l’acte de naissance de
phénoménologie génétique, et conduisent par là à réexaminer et
relativiser les analyses structurales et statiques auxquelles on a
trop souvent réduit la phénoménologie, en en faussant l’«
esprit », en la figeant dans une scolastique. Car les « Manuscrits
de Bernau » sont avant tout un exercice aigu du sens critique, de la
pensée aux prises avec des problématiques aporétiques, de l’art
de pratiquer des distinctions nuancées jusqu’au plus subtil, de la
rencontre de choses essentiellement mobiles, bref, de la pratique de
la philosophie telle qu’elle doit se donner à entendre
aujourd’hui.