L’Alberti latin est aussi peu représenté en France que l’Alberti italien ; le De re aedificatoria
fut pourtant traduit très tôt en français, vers 1550 : mais cet effort
ne s’est guère étendu à d’autres œuvres. Si les textes capitaux liés à
l’Alberti théoricien de la peinture et de la statue ont été traduits,
notamment au XIXe siècle, son activité littéraire reste pour l’essentiel
connue des seuls spécialistes.
L’image que l’on se fait d’Alberti est donc aussi tronquée que
répandue ; destin paradoxal d’une œuvre où l’on voit avec raison « le
sommet du premier humanisme ». Il se peut que le De commodis nous
fournisse l’une des raisons d’un tel destin, en nous donnant à
déchiffrer une pensée extraordinairement novatrice et pour ainsi dire en bataille,
d’autant plus intéressante pour nous que ce bref traité, écrit vers
1430, nous fait rencontrer Alberti au premier moment de son itinéraire
intellectuel : or, cet itinéraire, saisi ici à son stade pourtant
inchoatif, se place d’emblée sous le signe d’une réflexivité à la fois
virtuose et inquiète ; l’analyse inédite qu’Alberti nous donne des
conditions de l’« intellectuel » au xve siècle révèle la complexité et
la sinuosité ironiques de sa propre vision du monde. État des lieux
mordant et insatisfait de l’étude et de la pratique des lettres, de
l’exercice de la pensée et des circonstances où celle-ci peut se
déployer, dans une société incontestablement nouvelle
— voilà ce que le penseur sans doute le plus impressionnant du xve
siècle entend proposer : au moment d’entrer lui-même dans la « carrière
» des lettres, il demande aux humanités la réponse qu’elles ont à
donner à la question de la situation faite à l’intelligence dans un
monde politique et social inédit. Rien d’étonnant à ce que ses
interrogations puissent être reprises par tout « intellectuel » et se
poser avec une acuité particulière à notre temps. L’accès facilité à une
œuvre aussi réfléchie que déroutante permettra à tout lecteur de bonne
volonté de méditer à son tour sur les conditions effectives de la pensée et le statut qu’on reconnaît à l’activité de l’esprit.
Première traduction française.